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Note de l'auteur : Cette historique est basée sur la lecture, le recoupement et l'analyse des articles de presse parus dans les journaux le Matin, le New-York
Times, le Journal et l'Auto, ainsi que le magazine La Vie au grand air entre fin 1907 et début 1909.

 

Nous sommes à Paris et un homme, la casquette visée sur la tête, s'avance rue Saint-Honoré. Petit de taille, l'allure vive et déterminée il tourne à l'angle de la rue Richelieu. Normand d'origine, au caractère bien trempé, il est âgé en cette année 1907 de trente-cinq ans. Sa vie est faite d'aventures. Il s'embarque à seize ans sur un navire de la marine marchande qui fait naufrage dans la Manche. On le croit mort. Un mois plus tard, il se présente chez ses parents, alors qu'il est officiellement porté disparu. A dix-neuf ans il s'engage dans l'infanterie de marine et se rend au Tonkin. Là-bas, il tombe amoureux d'une jeune fille, mais la belle préfère partir dans les bras d'un officier. Vexé, notre homme pour se venger met sens dessus dessous les appartements de son supérieur. Jugé, il est envoyé au bagne. Libéré, il retourne voir cet officier pour l'agresser à son domicile et se retrouve de nouveau en prison. Pour payer sa dette, il s'engage dans la Légion étrangère, mais son fort caractère ne s'accommode pas de la rigueur militaire et il se révolte, ce qui lui vaut un nouveau séjour au bagne. Il part alors quatre ans au Congo et y crée une manufacture de caoutchouc. Journaliste à "La Patrie", il entreprend de faire le tour du monde à pied. Durant ce périple, alors qu'il est soigné dans un hôpital en Russie après s'être fait attaquer par des brigands en Sibérie, il rencontre Hélène Kreis, infirmière bénévole qui deviendra sa femme. Rétabli, il reprend la route, mais la guerre russo-japonaise l'empêche de poursuivre son chemin. Pour le compte du journal "Le Matin" il s'en va à dos de chameaux reconnaitre dans le désert de Gobi la route que devront emprunter le prince Borghese et ses compagnons lors de la course Pekin-Paris.
Notre baroudeur s'appelle Eugène Lelouvier, et aujourd'hui, ses pas le conduisent au numéro 100 de la rue Richelieu, devant les locaux de la gazette "Le Journal". Il vient porter la folle idée d'un tour du monde en automobile. Mais face aux tergiversations de l'équipe de rédaction, notre globe-trotter s'en va faire sa proposition au journal "Le Matin". Bien évidemment, la nouvelle se répand rapidement dans la capitale et le 24 novembre 1907, arrive au siège du quotidien cette missive :

"Monsieur le président du conseil d'administration du Matin

Le Matin a organisé les 6,000 kilomètres à travers la France pour démontrer de quels efforts pouvaient triompher des automobiles de différentes puissances. II a fait plus : il a prouvé, en patronnant un raid magnifique, que des automobiles pourraient être non seulement un précieux adjuvant à des opérations militaires, mais un merveilleux outil d'exploration et de civilisation. Il a fait Pékin-Paris, Pékin-Matin. Il peut faire mieux encore. Il peut, s'il le veut, porter jusqu'aux régions polaires la gloire de l'automobile.

Je m'explique : voici le défi que l'année 1908 peut voir : Aller en automobile de New-York à Paris sans emprunter le secours d'un paquebot, et, par surcroît, boucler le tour du monde sur sa plus grande largeur. En effet, c'est en plein hiver que l'auto doit maintenant faire ses preuves, et, avant que Charcot la conduise au pôle, elle doit, sous l'égide du Matin, braver les glaces boréales et les mornes solitudes sibériennes, pénétrer chez les peuplades les plus farouches et les plus inaccessibles. Ceci n'est point un rêve irréalisable. Christophe Colomb se lança jadis à la conquête de mondes inconnus. Ici, nous avons un plan, et voici les points principaux de ce formidable voyage : les automobiles, partant de Paris le 15 février, traverseraient la France jusqu'à Boulogne et l'Angleterre jusqu'à Liverpool, d'où un paquebot les conduirait à New-York. Là commencerait réellement l'entreprise. Aussi bien, ne convient-il de faire ce petit détour européen que pour ajouter quelques kilomètres à la route et boucler, accessoirement, le tour du monde. Nous voici donc au départ : De New-York à Chicago, la route est plutôt male frayée, mais il existe une route. Il se rencontre de plus terribles obstacles à franchir en allant de Chicago au Klondyke par les bords du Missouri ; puis ce seront les passages de l'Alaska, sur des fleuves gelés enfin, le détroit de Behring et l'Océan. L'Océan qu'il faudra vaincre sur la glace, en plein hiver polaire. La mer est gelée, et il faut passer. Enfin, ce sera la traversée la plus audacieuse qui puisse être faite en Sibérie, sur les neiges glacées. Il y a là une distance de 900 kilomètres sans nul poste de ravitaillement d'essence mais les automobiles peuvent rouler sur la glace unie. Après avoir salué, au départ, l'enthousiaste foule de France, les téméraires voyageurs auront visité l'Angleterre, les Etats-Unis. Ils connaîtront les populations de la Pennsylvanie, et jusqu'aux Indiens des Réserves, les Canadiens trappeurs, les chercheurs d'or du Klondyke, les pêcheurs de phoques de la mer de Behring, les peuplades sauvages du nord de la Sibérie, dont l'ingénuité farouche, est avide de verroteries, de coraux, de bibelots scintillants. Pour trouver la subsistance, il faudra parfois affronter l'ours, découvrir le fauve enfoui parmi les neiges, qui se laisse deviner seulement par la buée montant de ses narines, jusqu'à ce que, à l'approche du bruit, la bête formidable se révèle, menaçante. Dans la plus grande partie de la traversée sibérienne, c'est la glace, la glace à perte de vue, le désert glacé où les automobiles rouleront à toute allure. Qu'ils soient cinq, ou un seul à partir, peu importe. Le monde connaîtra par le télégraphe, au jour le jour ou presque, le fantastique récit de la plus grande visite qu'un homme puisse faire au monde.

Le « Matin » veut-il prendre cette nouvelle et grandiose initiative, et créer des héros ?

QUELS SONT CEUX QUI OSERONT PARTIR ? Veuillez agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments de haute considération.

G. BOURCIER SAINT-CHAFFRAY

Commissaire général de Pékin-Paris"

Le lendemain, à la une du journal figure la lettre de Bourcier Saint-Chaffray recopiée en intégralité. Le Matin accepte, non sans fierté, de relever le défi en organisant ce tour du monde automobile. La nouvelle est accueillie avec beaucoup d'enthousiasme de chaque côté de l'Atlantique. Le New-York Times offre son aide au journal français. Le magazine Motor Age de Chicago s'associe également aux deux quotidiens. La Standard Oil Campagny propose de fournir l'essence nécessaire tout au long du parcours de cette fabuleuse aventure.

Le jour même de la publication, arrive au siège du journal un télégramme d'Eugène Lelouvier. L'aventurier français, initiateur du projet, est le premier à annoncer sa participation. S'ensuit la visite d'Auguste Pons, concurrent vaillant et malheureux de la course Pékin Paris. Ce héros, enragé, a une revanche à prendre et cette course lui en offre l'opportunité. Le Marquis De Dion adresse un courrier au nom de sa société : "Je ne veux pas que l'on parte sans moi". Les jours suivant les inscriptions affluent au journal. L'aventure est d'autant plus osée qu'à cette époque les voitures sont très fragiles et extrêmement capricieuses. Les pneumatiques ne sont pas plus fiables que les automobiles sur lesquelles ils sont montés. Les routes sont rudimentaires, rarement pavées et même inexistantes par endroits. Il n'y a pas de carte routière pour se repérer et pour couronner le tout, une grande partie de la course se déroulera durant l'hiver.
 
Ce n'est pas la première fois qu'une telle aventure est tentée. Edward Ernest Lehwess, docteur en droit d'origine Allemande et naturalisé Anglais entreprend en 1901 de réaliser un tour du monde sur une Panhard & Levassor de 24 chevaux baptisée : la Passe-Partout. Il s'associe à Morgan-Browne ainsi qu'à Max Cludell un industriel d'Aix-la-Chapelle qui produit des moteurs et des tricycles à moteur sous licence De Dion-Bouton.
L'itinéraire prévoit de partir de Londres et de rallier Le Havre, puis de parcourir l'Europe et l'Asie en passant par Paris, Bruxelles, Berlin, Saint-Pétersbourg, Moscou, Pékin, et Vladivostok. Laissant derrière eux le continent asiatique, Le Docteur Lehwess et ses compagnons franchiront en bateau la mer Jaune pour rejoindre et traverser le Japon. Un autre navire les mènera alors sur l'océan Pacifique vers les Etats-Unis avec sur leur route une escale sur l'île d'Hawaï. Ils accosteront à San-Francisco et partiront vers la Nouvelle-Orléans, Saint-Louis, Chicago et finiront leur périple à New-York.
L'expédition s'élance de Hyde Park le 29 avril 1902. La progression est lente à travers l'Europe. La Panhard & Levassor tombe en panne à Saint-Pétersbourg, ses cylindres étant fissurés. Après réparation, le périple peut reprendre et en février 1903, la voiture sombre dans une congère près de Nijni (Russie). Les trois hommes renoncent à l'aventure, abandonnent la voiture sur place et rentrent en Angleterre.
 
Le 16 décembre 1907, Bourcier Saint-Chaffray, que le journal a désigné pour être le commissaire général de l'épreuve, organise une campagne d'expérimentation dans les Alpes sur le mont Genèvre où les températures approchent les -20°c. La caravane est composée d'une De Dion-Bouton, celle-là même qui participa à la Coupe de la Presse sur le circuit de Lisieux le 6 août 1907, une 4 cylindres Werner conduite par Monsieur Sarda, copropriétaire de la marque désireux d'examiner les possibilités de réussite, et une Benz prêtée par Monsieur Hutin, directeur de la succursale parisienne de la société allemande. Le but de ces travaux est d'étudier le comportement des moteurs, des carburateurs et de la circulation des fluides dans un environnement de basses températures

Le circuit retenu pour ce tour du monde prévoit de traverser les Etats-Unis d' Est en Ouest. Quittant New-York, les participants s'élanceront vers Buffalo, puis Chicago, Omaha, Cheyenne, Reno, traverseront le désert de Mojave et rejoindront Santa Barbara, San José et finalement San-Francisco. De là, ils rallieront par voie maritime Valdez en Alaska. Leur chemin les mènera ensuite à Fairbanks, d'où il suivront la rivière Yukon jusqu’à Kaltag et Nome. Les concurrents traverseront ensuite en voiture le détroit de Behring pris par les glaces pour rejoindre East Cape en Sibérie. De là ils s’élanceront vers Paris en passant par Tomsk, Moscou, Saint Pétersbourg et Berlin. Les organisateurs estiment que l'aventure durera six mois et se courra sur plus de 30.000 Km.
Eugène Lelouvier estime que l'organisation et le parcours ne se font pas selon les conditions qu'il a prévues. S'élevant en outre contre la possibilité d'utiliser le steamer ou les chemins de fer sur certains points du parcours, il retire son adhésion. Mais ce Normand de Domfort, entêté et toujours aussi désireux de "boucler" son tour du monde ne se décourage pas. Il persuade l'explorateur alaskain Maurice Drieghe de l'accompagner dans cette aventure. Il retourne, obstiné, faire le siège de la rédaction du quotidien "Le Journal" et emporte cette fois l'assentiment de ses dirigeants. Le Journal organisera donc, comme le Matin, son tour du monde automobile et pour sa part selon les volontés dictées par Lelouvier.

Les voitures sont profondément remaniées afin d'affronter la dure épreuve. Dans une interview donnée au journal l'Auto le 26 janvier 1908, Monsieur Sapène, administrateur de la Société des Automobiles Motobloc décrit dans le détail les améliorations apportées à leur voiture :

"Les longerons du châssis de la 24 ch. Motobloc New-York-Paris ont été renforcés avec du bois d'Hickory. Le graissage a été modifié en ce sens que le réservoir d'huile a été placé dans un endroit où il peut être facilement réchauffé pour éviter la congélation de l'huile. Le carburateur peut être également réchauffé à l'aide d'un chalumeau fonctionnant à volonté. Le ventilateur peut être actionné ou non, selon les circonstances. Le moteur est protégé contre les froids par une installation spéciale. De grands marchepieds armés, très robustes et très larges, ont été installés de chaque côté du châssis, et le blindage a été établi spécialement pour pouvoir former traîneau sur la neige à demi dure. Il supporte ainsi la voiture, si la neige vient à céder sous le poids. Les roues sont munies de bandages automatiques Ducasble.

Elle comporte des réserves d'huile et d'essence permettant de parcourir à petite allure mille à douze cents kilomètres sans ravitaillement ; elle est soignée dans ses moindres détails. Une capote en cuir doublé très chaude couvre entièrement les passagers. A l'arrière est aménagée une armoire aux provisions, contenant le matériel de cuisine nécessaire, avec fourneau à pétrole, et une pharmacie de route très complète. A bord de la voiture est installée une tente couvrant en entier la voiture et permettant à quatre personnes de camper à l'abri des intempéries. Dans diverses soutes se trouvent les armes, les cartouches, les outils, parmi lesquels des pioches, des pelles, des palans, etc., et enfin un attelage d'artillerie, timon articulé pour le remorquage possible d'un traîneau dans les steppes désertes de l'Alaska et de la Sibérie. Le tout pèse 2.500 kilos."

La De Dion n'est pas en reste avec un moteur 4 cylindres 110/130 de 30 chevaux, un carburateur automatique, des réservoirs de 700 litres d'essence permettant de parcourir 3.500 kilomètres. L'aménagement comporte de nombreuses armoires et une tente qui peut se transformer en voile. La voiture emporte des roues à hérisson pour la neige et des roues de wagon afin d'utiliser en Amérique les voies ferrées. En ordre de marche, la De Dion pèse 3.200 kilos.

Nous sommes maintenant le 28 janvier 1908 à Paris, boulevard Poissonnière sous une pluie fine qui arrose la capitale française. Devant l'immeuble du Matin, trois voitures pavoisées et peintes aux couleurs nationales patientent. Il y a là, Charles Godard le héros du Gobi, Auguste Pons et Georges Bourcier Saint-Chaffray . A midi pile, les véhicules s'ébrouent, se frayent difficilement un chemin au milieu d'une foule dense, s'engagent sur la rue Royale, puis passent le faubourg Saint-Honoré, l'avenue des Ternes, le boulevard Gouvion-Saint-Cyr, les Acacias et quittent la ville lumière par la porte de Suresnes. Longeant Mantes et Elbeuf, les trois automobiles gagnent Rouen et arrivent au Havre vers cinq heures du soir. Ils sont rejoints dans la nuit par Antonio Scarfoglio qui conduit une Züst fabriquée en Italie. Le lendemain se présente une automobile Werner de couleur grise que Messieurs Gallien et Sarda, les deux dirigeants de la marque, ont mis à la disposition de Maurice Drieghe et d'Eugène Lelouvier. Parti la veille de la place de la Concorde, elle arbore à ses angles des drapeaux aux couleurs de la France, de la Russie, du Canada et des Etats-Unis, les quatre grands pays traversés par le raid. Une motocyclette Werner devant servir en cas de secours a trouvé place à bord de la voiture. Le 1er février, le transatlantique La Lorraine, cheminées fumantes s'apprête à appareiller pour le Nouveau Monde. Eugène Lelouvier est encore sur le quai à signer des cartes postales à ses admirateurs que retentissent les sirènes du bateau, signe de départ. Il n'a que le temps de sauter sur la passerelle que les hommes d'équipage commencent déjà à enlever.

Le journaliste Georges Dupuy dans l'édition du 1er février 1908 de la Vie au Grand Air est très pessimiste, même s'il s'en défend, sur la réussite de l'aventure. Il décrit une course trop hâtivement conçue et débutante trop tardivement dans un hiver déjà bien avancé. Pour cet homme qui a parcouru en voiture l'Alaska, la vallée du Grand Yukon et le Canada, il aurait été préférable que les concurrents quittent la France en novembre.

Après une traversée sans histoire, nos aventuriers accostent dans le port de New-York le 9 février où ils sont accueillis par les colonies Françaises et Italiennes de la ville. Cette foule joyeuse, accompagnée d'une multitude de drapeaux colorés, les salue à grand renfort de cris, d'applaudissements, de gestes et de chapeaux jetés en l'air. Montague Roberts, le conducteur de la voiture engagée pour les Etats-Unis et l'équipage de la voiture allemande arrivé la veille d'Hambourg sont également présents pour les recevoir. Les pieds à peine posés sur la terre ferme, Eugène Lelouvier se précipite faire le tour des salles de rédaction des différents journaux pour y porter sa photo ... A l'hôtel Knickerbocker, où logent les participants, en présence de Mr Lauzanne rédacteur du journal Le Matin, une dernière réunion est organisée afin de s'accorder sur les différents points de règlement à respecter. Il est entre autres décidé que le trajet Ogden - San-Francisco serait neutralisé et que les concurrents pourraient utiliser le moyen de transport qui leur conviendrait le mieux pour rejoindre la côte Pacifique. Cette partie de la course ne représente pas d'intérêt sportif majeur ayant déjà été parcouru à moult reprises par des automobiles. Cette décision soulève dans un premier temps quelques critiques, mais la saison est déjà bien avancée et le point culminant de la course étant la traversée de l'Alaska, ainsi que le passage du détroit de Behring, chose qu'aucune voiture n'a jamais tentés, il est impératif que les voitures y parviennent avant la fonte des glaces. Cet argument finit par emporter l'adhésion générale. A l'issue de la réunion, l'Automobile Club convie les courageux voyageurs à un grand banquet au cours duquel le colonel Jefferson de Mont Thompson annonce qu'il offrira 1.000 dollars en espèces (25.000 dollars actuels) au conducteur qui sera le premier à remettre à Paris au baron Etienne de Zuylen de l'Automobile Club de France le drapeau du club automobile américain. Bourcier Saint-Chaffray se lève promptement et au comble de l'enthousiasme déclare qu'il gagnera ce prix.

 

Züst
(Italie)

Sizaire-Naudin
(France)

Protos
(Allemagne)

Thomas Flyer
(Etats-Unis)

 

Le 11 février quittant l'hôtel Brevoort, où ils sont descendus, Maurice Drieghe, chef de l'expédition, Eugène Lelouvier et Max Hohmann, dirigent leur voiture Werner vers le siège du journal new-yorkais "The World". Après une brève cérémonie sous les fenêtres du quotidien, Mr Mac Gowan, président du conseil municipal signe le livre de route certifiant l'heure et les circonstances du départ. Les trois hommes s'élancent à 13h30 acclamés et suivis par une foule de vingt-mille curieux dont certains n'ont pas hésité à escalader l'armature métallique du pont de Brooklyn pour apercevoir la voiture escortée par la police montée New-yorkaise. Dans la Werner se trouve le reporter du World, James Robbins, qui les accompagne jusqu'à Philadelphie. Soutenue par le quotidien Le Journal et un comité d'initiative composé de Mlle de Gauban du Mont, le comte de Contades, Mr de la Tour et MM. Gallien et Sarda de la maison Werner, cette aventure prend le nom d'expédition Gauban du Mont-Werner. Ne suivant pas le parcours officiel, jugé impossible par Lelouvier et anticipant les difficultés que rencontreront les autres automobiles dans la neige, Maurice Drieghe préfère prendre une route plus au sud par Philadelphie, Gettysburg, Cincinnati et Saint-Louis, avant d'obliquer au nord vers Seattle. De là l'équipage prendra le steamer et rejoindra l'Alaska à Skagway. En outre, La femme de Lelouvier est envoyée en Sibérie pour préparer le ravitaillement en essence dans ces contrées.

Le lendemain, le 12 février 1908 devant le Times Building dans Broadway, ce sont finalement six voitures sur les treize inscrites et représentant quatre nationalités qui se présentent sur la ligne de départ officielle. Il y a pour l'Allemagne la Protos, du lieutenant Hans Koeppen construite spécialement pour la course en seulement 16 jours par la Motorenfabrik Protos, usine créée en 1898 par la Docteur Alfred Sternberg. L'Italie est représentée par une Züst conduite par Giulion Sirtori et Antonio Scarfoglio, surnommé Toto. Cette voiture 4 cylindres de 24 chevaux provient des ateliers de Roberto Züst, un technicien Suisse qui fabrique en Italie depuis 1903 des machines outils à Milan et Brescia, et qui s'est lancé en 1906 dans la construction automobile sous l'appelation Brixia-Züst. Georges Schuster pilote la Thomas Flyer pour les Etats-Unis. La France aligne 3 voitures avec la Motobloc de Charles Godard, la De Dion de Monsieur Bourcier Saint-Chaffray, qui est également le commissaire général de la course, et la Sizaire-Naudin d'Auguste Pons. La légende veut que la voiture américaine fût engagée sur l'insistance de Théodore Roosevelt, président des Etats-Unis.

 

Constructeur

Nationalité

Equipage au départ de New-York

Züst
4 cylindres 120/130 - 24 chevaux
Pneumatiques Pirelli

Italie

Giulion Sirtori (conducteur)
Henry Haaga (mécanicien)
Antonio Scarfoglio (correspondant des journaux Mattino, Stampa, Daily Mail et Pearsons Magazine)

Sizaire-Naudin
1 cylindre 120/130 - 18 chevaux
Pneumatiques Michelin

France

Auguste Pons (conducteur)
Maurice Berthe (mécanicien)
Lucien Deschamps (mécanicien et cinématographiste Pathé)

Protos
4 cylindres - 35/40 chevaux
Pneumatiques Dunlop

Allemagne

Lt. Hans Koeppen (conducteur et correspond du Berliner Zeitung am Mittag)
Hans Knape (conducteur)
Ernest Mass (mécanicien)

Thomas Flyer
4 cylindres - 60 chevaux

Etats-Unis

Montague Roberts (conducteur)
George Schuster (conducteur et mécanicien)
Walter Williams (mécanicien et correspondant du New-York Times et du Matin)

De Dion-Bouton
4 cylindres 110/130 - 30 chevaux
Pneumatiques Michelin

France

Georges Bourcier Saint-Chaffray (conducteur de la voiture officielle du Matin)
Alphonse Autran (mécanicien)
Cpt. Hans Hendrick Hansen (mécanicien)

Motobloc
4 cylindres 120 - 24/30 chevaux
Automatiques Ducasble

France

Charles Goddard (conducteur et correspondant du journal l'Auto)
Arthur Hue (mécanicien)
Maurice Livier (mécanicien et cinématographiste Raleigh et Robert)

Werner (moteur De Dion)
4 cylindres 90/100 - 15 chevaux
Pneumatiques Michelin

France

Maurice Drieghe (conducteur et correspondant de la Vie au Grand Air et du Journal)
Eugène Lelouvier (conducteur)
Max Hohmann (mécanicien)

 

Le départ de la course officielle était initialement prévu le samedi 15 février 1908, mais les organisateurs ont pris la décision de la faire partir ce mercredi 12 février en raison du départ de la Werner un jour plus tôt. Ceux-ci craignent que Lelouvier et ses compagnons ne prennent trop d'avance et ne puissent être rattrapés. Et c'est pourquoi que devant près de 250.000 personnes, à 10h00 par ce mercredi glacial, Colgate Hoyt, président de l'Automobile Club d'Amérique, s'approche des six concurrents que le journal l'Auto surnomme "Les New-York Paris". Notre homme leur demande simplement "Etes-vous prêts ?". "All Rights" répond Montague Roberts en agrippant son volant. Le lieutenant Koeppen, à qui le Kaiser Guillaume II a adressé en personne un télégramme de soutien et d'encouragement, porte d'un geste sec la main à sa casquette tandis qu'Antonio Scarfoglio envoie un baiser à la foule. Auguste Pons, qui a reçu le sobriquet de "The Thin Man" (l'homme maigre) secoue ses épaules alors que Bourcier Saint-Chaffray reste de marbre, seul son visage plus pâle qu'à l'accoutumée trahit son émotion. Le jovial Charles Godard, que la presse new-yorkaise s'amuse à surnommer "The yellow big man" (le gros homme jaune) affiche un large sourire. Colgate Hoyt lève un pistolet plaqué or et donne le coup d'envoi de cette audacieuse course. La détonation est noyée par les cris de la foule et la fanfare qui entame "My Country, Tis of Thee" :
My country, 'tis of thee, Sweet land of liberty, Of thee I sing ; Land where my fathers died, Land of the pilgrims' pride, From ev'ry mountainside Let freedom ring ! ...

Au même instant George Brinton Mc Clellan Jr, maire de New-York, se meut avec difficulté dans la masse d'une foule d'autant plus compacte, que ce mercredi 12 février, date anniversaire de la naissance d'Abraham Lincoln, est un jour férié à New-York. Poussant ses concitoyens des deux mains pour ne gagner que quelques pas, le premier magistrat de la ville doit redoubler d'effort pour s'extraire de cette multitude d'hommes, de femmes et d'enfants. Quand enfin, il parvient à s'en extirper, retarder par ce combat, il n'a que le temps d'apercevoir les six véhicules qui s'éloignent déjà. Nos aventuriers sont accompagnés durant les quarante-cinq premiers kilomètres jusqu'à Tarrytown par deux cents voitures du New-York Automobiles Club. La voiture américaine profitant d'être sur le territoire des Etats-Unis, et bénéficiant de ce fait de toute l'aide que la firme Thomas déploie à travers le pays, roule pratiquement à vide. Quant aux autres voitures, elles sont lourdement chargées de leur équipage de trois personnes, de pelles, de fusils, de cordes, de chaînes, d'outils, de pièces de rechanges et de bidons d'essence supplémentaires.

 

De Dion-Bouton
(France)

Motobloc
(France)

Werner
(France)

 

Dès les premiers kilomètres les concurrents sont confrontés aux premièrs obstacles, se frayant difficilement un passage sur les routes enneigées de l'hiver américain. Les conditions sont tellement épouvantables que les concurrents roulent en convoi et utilisent les services de voitures "pilotes" pour leur ouvrir la voie. Mais rapidement les participants se convainquent que chaque heure de course est cruciale et craignent que leurs adversaires ne se faufilent à la faveur de la nuit. Des tensions apparaissent rapidement et Geoges Bourcier Saint-Chaffray, sous son autorité de commissaire général de la course interdit aux autres conducteurs de partir en avance sans lui en avoir au préalable demandé l'autorisation. A cela Montague Roberts lui rétorque : "A partir de maintenant vous saurez ce qu'est une course". L'entente apparente des premiers jours vole en éclats et chacun roulera désormais à son rythme. Le premier incident survient deux jours après le départ. Arthur Hue le mécanicien de la Motobloc, certainement engourdi par le froid, est victime d'un retour de manivelle lorsqu'il remet le moteur en marche après la pause-déjeuner à Hudson. L'équipage se voit contraint de passer le reste de la journée dans la ville afin de soigner le poignet blessé. Le 20 février à Erié (Pennsylvanie), Godard, que les américians surnomment maintenant le Baron, doit demander l'aide de la garnison de cavalerie pour délivrer sa voiture ensevelie sous la neige tombée durant la nuit. La Sizaire-Naudin d'Auguste Pons est la première à abandonner après quelques tours de roues à Pougkkeepsie et sans avoir pu quitter l'état de New-York. L’essieu arrière de la voiture s’est effondré sous son poids et les tentatives de réparation sont malheureusement restées vaines. La Sizaire-Naudin n'aura parcouru que 130 Km. Auguste Pons est une fois de plus trahi par son amour pour le léger (il se lança dans la course Pékin-Paris sur un cycle-car Contal à trois roues, où il faillit laisser la vie dans le désert du Gobi, ne devant son salut qu'à une troupe de nomades). L'équipage de la Werner est, lui, victime d'accidents fréquents et subit de nombreux problèmes techniques dus à la conduite de Lelouvier. Perdant tout sens du réel à la sortie de la ville de New-York en arrivant à un passage à niveau, celui-ci au lieu de s'arrêter, corne avec obstination pour faire stopper la locomotive ! Maurice Drieghe, pourtant d'un naturel complaisant, et Max Hohmann lui demandent de ne plus toucher au volant. Piqué au vif et ne pouvant s'accommoder d'un rôle secondaire, Eugène Lelouvier quitte l'aventure à Norristown. Ses compagnons repartent sans lui et arrivent à Philadelphie (Pennsylvannie) le 15 février. La De Dion n'a pas non plus été épargnée puisque le 22 février à Kendallville (Indiana) après 1060 Km de course l'arbre de pignon d'angle se brise. La panne est importante et Alphonse Autran, le mécanicien doit prendre le train jusqu'à Chicago pour y trouver une pièce de rechange et en revenir le plus rapidement possible. En moins de vingt-quatre heures, la voiture réparée, peut reprendre la route.

 

Les six voitures au départ

La course s'élance

L'engouement de la foule
est immense

Les voitures du N-Y.A.C
avec la Protos

 

Les températures descendent jusqu'à moins 26°C. L'antigel n'existant pas, les mécaniciens doivent purger les moteurs chaque nuit. Les congères atteignent par endroit quatre à cinq mètres de haut. Les voitures sont régulièrement extirpées des pièges que recellent les routes enneigées par des chevaux et tractées sur plusieurs miles. Les fermiers américains font payer le prix fort ces services aux participants étrangers. Un homme armé d'une pelle demande 5 dollars (100 dollars actuels) pour quelques bordées de neige. Georges Schuster, qui bénéficie de toute l'aide gracieuse de ses compatriotes n'a pas à délier sa bourse. Il en profite et fait tirer sa voiture par douze chevaux entre South Bend et Hobart, distant de 104 Km, économisant grandement son moteur. Il n'est pas rare que les habitants des régions traversées dégagent hardiment la neige présente sur la route pour faciliter le cheminement de la Thomas et la remette en place pour ralentir sournoisement le passage des autres concurrents. A Wawaka (indiana), alors que l'équipage de la Motobloc se repose, la voiture enfermée dans une grange est entièrement dépouillée durant la nuit. Les voleurs dérobent les armes, les munitions, les films et les caméras, les outils, le matériel de rechange, les vêtements des concurrents et même une caisse de champagne. De plus, les autorités refusent d'aider les hommes de la Motobloc. L'accent de Charles Godard et ses difficultés à parler l'anglais, éveillant chez eux plus de suspicion que de compassion. Apprenant la nouvelle, le colonel Jefferson de Mont Thompson annonce dans les journaux qu'il offrira une réconpense de 250 dollars (5.000 dollars actuels) à celui qui découvrira les personnes qui ont dévalisé la Motobloc de Gordard.

Le 27 février, au milieu d'une terrible tempête de neige la Thomas Flyer parvient à Chicago. La Werner arrive le même jour à Cleveland où une réparation importante va l'immobiliser six jours dans la ville. La Motobloc et la Protos affrontent un terrible orage alors qu'ils approchent de Chicago. L'orage est tel que les hommes doivent abandonner leurs voitures pour se réfugier dans une grange et y passent la nuit. Le lendemain matin, il faut plus de trois heures pour remettre les voitures en état de marche et reprendre la route. Charles Godard atteint enfin la ville le 4 mars. Emilio Sirtori de l'équipage italien exprime les conditions de ces deux premières semaines de course dans une interview donnée à un journaliste du New-York Times : "Je n'ai jamais su qu'il y avait autant de neige dans le monde et que tout était stocké dans l'Indiana". Le Capitaine Hansen, qui avait participé aux recherches en 1898 et 1899 de l'aérostier suédois Salomon August Andrée et de ses deux compagnons, dans leur tentative malheureuse d'atteindre le pôle Nord en ballon, quitte l'équipage conduit par Georges Bourcier Saint-Chaffray qui reste très énigmatique concernant les raisons de cette séparation. (note de l'auteur : Les corps des aérostiers et les restes de l'expédition d'Andrée ne seront découvert qu'en 1930 par un navire de pêche norvégien : le Bratvaag.) A Paris, dans la capitale française, le bruit d'une violente dispute entre les deux hommes s'étant terminée par une provocation en duel circule. Partant de Windy City, surnom donné à la ville de Chicago pour Clinton (Illinois) plus au sud, les participants de cette épopée, rencontrent des températures plus clémentes et sont confrontés aux premiers dégels qui transforment les routes de terre en autant de pièges boueux dans lesquels s'enfoncent les voitures. Les radiateurs des véhicules sont rapidement bouchés par la boue qu'ils poussent devant eux, obligeant les mécaniciens à les démonter pour les nettoyer. Plus au sud, proche de la ville de Colombus (Ohio), la Werner subit le même déplorable parcours couvert de boue qui pénètre partout, jusque dans le carburateur et les cylindres.

 

La Protos et la Thomas Flyer
à Utica

La De Dion à Utica

La Thomas Flyer à Buffalo

Les voitures avancent
en convoi

 

En pénétrant dans l'Iowa, les participants découvrent que cet état n'a pas de routes. Il n'y a que d'étroits chemins de terre serpentant à travers les champs et les prairies. Pour trouver leur chemin, les conducteurs n'ont comme repères à travers la campagne que les poteaux réclames que les industriels avides de publicité ont plantés le long des sentiers. Le 2 mars, la Thomas Flyer est la première à arriver à Ames (Iowa). Il faut dire que les membres des Automobiles Club des régions traversées reconnaissent les sentiers afin d'indiquer aux coureurs américains, le plus court et le meilleur chemin à suivre. Ils n'hésitent pas à couper les fils de fer servant de clôture pour que la Thomas file à travers champs et gagne un temps précieux. Ne bénéficiant pas de cette aide précieuse, Antonio Scarfoglio sur Züst réalise l'exploit de parvenir dans la bourgade avec seulement un jour de retard sur la Thomas. Bourcier Saint-Chaffray n'y arrive que le 7 mars, après avoir dû affronter de nombreuses pannes, s'être fait attaquer et voler tout son argent. Traversant les plaines interminables du Nebraska, l'équipage de la Thomas Flyer voit venir vers eux une troupe de cavaliers. A leur tête, Miss Daisy, la fille du colonel Cody, le célèbre Buffalo-Bill qui averti de leur passage les invite à un déjeuner dans le cottage où il s'est retiré près de North Platte. Le 9 mars à Cheyenne (Nebraska), Montague Roberts retenu par des obligations antérieures repart pour New-York et cède sa place à E.Linn Mathewson. Ce dernier passera à son tour le volant de la Thomas à Harold Brinker le 18 mars à Cobre (Nevada). La Protos parvient à Ames le 13 mars accueilli par une foule nombreuse. A son bord Hans Koeppen est seul. Hans Knape et Ernest Mass ayant décidé de quitter la compétition. La seconde voiture française, la Motobloc de Charles Godard est la dernière à s'y présenter le 16 mars. Il faut dire que notre homme prend son temps et ne refuse jamais une occasion de banqueter, c'est à n'en pas douter le meilleur ventre de la course. Le même jour, la Werner est à Indianapolis (Indiana). La voiture de Maurice Drieghe casse son axe de direction à Greenville (Illinois). Les deux hommes démontent la pièce et prennent le train jusqu'à Saint-Louis pour la faire réparer. Dans la nuit du 18 au 19 mars à Omaha (Nebraska), du sable est mis dans le moteur de la Motobloc. Déjà las de devoir débourser de fortes sommes pour obtenir l'aide des habitants, cette mésaventure finit de décourager Charles Godard qui décide de mettre sa voiture sur un train pour San-Francisco. L'information parvient au journal "Le Matin" qui s'empresse de désavouer publiquement le français. "Godard est mort pour la Coupe New-York Paris ! Godard est fini pour nous ! Adieu Godard !" s'écrie René Bures dans l'édition du 20 mars 1908 du quotidien. Godard n'est pas le seul à se voir retarder dans son avancée par des actions retorses que les Yankees n'hésitent pas à commettre afin de les retarder et favoriser la Thomas. Ainsi Bourcier Saint-Chaffray retrouve un matin son levier de changement de vitesses bloqué par un burin et des écrous.

Les routes entre Kansas City et Topeka sont tellement défoncées et impraticables, que le duo Drieghe-Hohmann est contraint de démonter une partie de la carrosserie de la Werner afin de l'alléger pour permettre un travail moins pénible du moteur. Ils atteignent Topeka, la capitale du Kansas, où ils ne prennent qu'un rapide repas avant de s'élancer vers la ville de Belleville dans laquelle ils pénètrent le 23 mars.

Dans les villes traversées par les voitures de la course New-York Paris, partout c'est la même frénésie, les cloches des églises sonnent, les sirènes rugissent et les locomotives sifflent. La population descend dans la rue, les jeunes filles demandent un souvenir aux voyageurs, une carte, un ruban, n'importe quoi. Certains, plus audacieux, déchirent un bout de toile de la capote des véhicules en guise de souvenirs. La De Dion-Bouton se voit arracher la marque de fabrique fixée sur son radiateur créant ainsi une fuite d'eau. Le 25 mars, la voiturette Werner de Maurice Drieghe et Max Hohmann qui emprunte toujours une route plus au sud est à Denver (Colorado) où ils se font assaillir à leur arrivée par une horde de reporters et de photographes. En même temps Charles Godard parvient en train à San-Francisco où il y reste plusieurs jours afin de démonter entièrement le moteur de sa Motobloc pour y enlever le sable que des mains criminelles ont mis dedans. La société bordelaise Motobloc décide de ne pas poursuivre plus loin la fantastique randonnée et de s'arrêter dans cette ville californienne fondée par les Espagnols en 1776.

 

La Thomas Flyer à
Ames (Iowa)

La Motobloc en route
vers Boone (Iowa)

La Motobloc à Boone (Iowa)

 

La traversée vers San-Francisco sur la côte Ouest est dantesque. Les concurrents doivent affronter des conditions toujours aussi difficiles et l'absence de routes oblige les voitures à rouler à intervalles réguliers sur les voies de chemin de fer. Après la neige et la boue, les participants bravent maintenant les routes pierreuses et sablonneuses des Montagnes Rocheuses. La fournaise qui y règne rend tout effort prolongé épuisant. Les hommes doivent attendre la nuit afin de pouvoir sortir les véhicules du sable fin dans lequel elles s'enfoncent. La Werner verse dans un ravin. Si les deux conducteurs ont peu de mal, la voiture est assez endommagée, mais Maurice Drieghe et son compagnon parviennent à la réparer et à reprendre leur route. La Züst ségare et ère pendant deux jours dans le désert de Death Valley, où elle affronte des meutes de loups affamés, avant de pouvoir rejoindre Daggettt (Californie). Après être resté immobilisé trois jours à Rock Springs (Wyoming) pour réparer sa direction cassée et s'être débattu dans les déserts du Wyoming, Hans Koeppen parvient le 31 mars à Carter (Wyoming). Dans la sinistre Vallée des Funérailles, la De Dion s'enfonce profondément dans le sable et son moteur étouffé rend l'ame. Saint-Chaffray et ses compagnons sont immobilisés sous un terrible soleil de plomb, ils ne peuvent travailler sur la voiture qu'à la nuit tombée, passant le jour, nus sous la voiture tentant d'échapper à la touffeur ambiante. Pendant plusieurs nuits, tous leurs efforts restent vains et ils ne doivent leur salut qu'à une tempête de vent qui chasse les dunes de sable accumulé devant leur voiture laissant apparaitre des herbes rêches, dures et à moitié grillées sur le sol. Le moteur remis en marche, la De Dion peut enfin s'ébranler. La Thomas Flyer est la première à arriver sur les rives du Pacifique le 25 Mars. 41 jours 8 heures et 15 minutes après avoir quitté New-York La Thomas se gare devant le siège de l'Automobile Club de San-Fransico. Les journaux d'outre-Atlantique sont dithyrambiques et nonobstant que la course se dispute sur 25.000 Km. et non sur 5.600, considère cette arrivée comme un triomphe de l'industrie américaine. (note de l'auteur : La première traversée Est-Ouest des Etats-Unis en hiver fut réalisé par les explorateurs Percy F. Megargel et David F. Fassett sur une deux cylindres Reo durant l'hiver 1905-1906.)

Après quelques réparations, l'équipage américain et le Capitaine Hansen qui a trouvé refuge sur la Thomas Flyer, embarquent le 27 mars sur un vapeur, le Santa Clara, à destination de Valdez en Alaska. Le tracé initial prévoyait que les équipages soient débarqués à Seattle et empruntent une route longue de 4.000 Km. pour rejoindre Valdez. Mais le ministère des Travaux Publics Canadien déconseilla très fortement le passage des voitures à travers la Colombie-Britanique et le Yukon, qui sont des contrées chaotiques, couvertes de neige, de glaciers, de cataractes gelées qui se transforment durant le court été en régions marécageuses. Antonio Scarfoglio et sa Züst arrivent le 2 avril à San-Francisco, précédant de 8 jours la De Dion la dernière voiture française encore en course. Une réclamation parvient alors au comité de la course signée par de nombreux participants dont le texte constitue une accusation en règle contre les agissements des concurrents américains.

Nous, soussignés, concurrents dans la course "New-York Paris", protestons par la présente contre la manière d'agir de la "Thomas" et établissons :

1. Que la voiture "Thomas" a été transformée à son arrivée à Buffalo, dans l'usine Thomas, de telle sorte que, virtuellement, c'est une autre voiture qui continue la course.

2. Que sur le parcours de New-York à Chicago, la "Thomas" a été fréquemment remorquée et que son moteur n'a point fonctionné. De South Bend à Michigan City, où des chevaux furent attelés à l'automobile, le moteur fut arrêté et le radiateur enlevé.

3. Qu'à travers une certaine section d'Indiana la "Thomas" fut remorquée par un wagon sur les rails d'une compagnie de tramways interurbains.

4. Que la "Thomas" a utilisé sur un certain parcours de Michigan City à Chicago la voie du chemin de fer, tandis que cette voie fut interdite aux autres concurrents.

5. Que, en certains points, la "Thomas" fut hissée sur des traîneaux.

En foi de quoi, nous protestons contre les agissements de la voiture "Thomas" et, tant à titre individuel qu'à titre collectif, nous considérons la "Thomas" comme disqualifiée et mise au ban de la course New-York-Paris

Signé : R.W. WOOLMOLLER, A. SCARFGOLIO, A. AUTRAN, Henri HAAC, Guillio SARTORI. G. BOURCIER SAINT-CHAFFRAY, E. LESCARES.

Les journaux officiels de l'épreuve, le New-York Times et le Motor Age de San-Francisco reconnaissent malatroidement et du bout de la plume l'exactitude des faits. Les membres de la De Dion-Bouton, ainsi que les Italiens de la Züst, examinent sérieusement la question de savoir s'il ne conviendrait pas pour eux de terminer à San-Francisco, une épreuve aussi inégalement disputée. Le journal l'Auto à contrario des journaux américains qui considèrent que la Thomas a remporté une belle victoire lors de cette traversée des Etats-Unis écrit dans son édition du 12 avril 1908 : "La De Dion-Bouton, digne continuatrice de ses aînées, qui ont traversé le Vieux Continent, a indiscutablement roulé par ses propres moyens à travers tout le Nouveau Monde. Elle a bien, par-ci, par-là, cassé quelques-uns de ses ressorts, mais son moteur est resté intact et toujours, elle a été remise sur roues, que ce soit après l'enlisement qui l'attendait près de Buffalo ou après la tempête de neige qui menaçait de l'engloutir, elle et ses équipiers, dans l'Indiana. C'est une preuve de plus que l'automobile va, seule, partout, lorsqu'on ne lui demande pas une vitesse démesurée. Il faut qu'elle soit patiente, robuste et saine ; il faut que l'homme qui la guide tempère l'emballement de son moteur. L'alliance du chauffeur et de la machine est plus étroite que jamais dans les moments difficiles des grandes routes lointaines. Le fait, par la De Dion-Bouton d'avoir soutenu une lutte de tous les jours contre les éléments déchaînés, contre les chemins, contre les embûches, constitue une nouvelle victoire dont la grande industrie française peut être fière. Pour qu'une victoire existe, il faut, n'est-il pas vrai, qu'elle soit indiscutable et indiscutée, comme celle-ci."

Quant à la Protos, elle est enlisée au propre comme au figuré dans l'état du Wyoming. Le 9 Avril, elle est de nouveau en panne à Kelton (Utah). Parvenant laborieusement jusqu’à Ogden (Utah) le 16 avril, Hans Koeppen, seul et exténué, prend alors la décision de partir directement vers Seattle en train, alors que le parcours officiel prévoit un passage par la ville de San-Francisco.

 

La Thomas Flyer à Kearney
le 10 mars 1908 (Nebraska)

La Thomas Flyer sur la Medicine
Bow River gelée (Wyoming)

La De Dion près de Cheyenne
(Wyoming)

La Thomas Flyer dans l'Utah
(Western Pacific Railroad)

 

Après avoir affronté de nombreuses tempêtes et une escale imprévue à Cordova (Alaska), le steamer transportant la Thomas Flyer accoste à Valdez le 8 avril avec deux jours de retard sur la date prévue. Les 787 habitants de la ville les accueillent joyeusement au son de la fanfare locale. Le lendemain, une reconnaissance de nuit en traîneau jusqu'à Camport de la piste menant à Thompson Pass, le premier relais postal après Valdez conduit l’équipage à la conclusion que la circulation en Alaska est impossible pour les participants. Le dégel prématuré ayant ramolli la couche supérieure de neige. Il faut faire demi-tour et retourner à San-Francisco. Ignorant les conditions régnant en Alaska, les équipages de la Züst et de la De Dion embarquent le 11 avril sur le City of Pueblo en direction de Valdez, avec une escale à Seattle. Lors de leur escale le 14 avril, les hommes apprennent que la route en Alaska est impraticable. Bien décidés à faire le tour du monde, ils s'embarquent dès le lendemain à bord du Aku Maru à destination de Yokohama. Guilion Sirtori décide d'arrêter là l'aventure. Antonio Scarfoglio et Henry Haaga, qui fut le mécanicien de Camille Jenatzy le premier homme a dépasser les 100 km/h sur une voiture, la "Jamais Contente", et que les Anglais surnommèrent le "Diable Rouge" à cause de sa chevelure rousse, quittent Seattle sans lui. La nouvelle de l'abandon de la traversée de l'Alaska, point d'orgue du raid, est vite reprise par la presse anglaise qui par l'intermédiaire du Evening Standard, profite, non sans plaisir, de l'occasion qui leur est offerte de railler l'initiative franco-américaine et de rebaptiser l'épreuve : "La farce de New-York Paris". Tandis que les participants naviguent vers le Japon, les réclamations déposées par Guilon Sitori, Georges Bourcier Saint-Chaffray et Charles Godard sont reconnues fondées. Le bruit court rapidement à Paris que des disqualifications pourraient être prononcées. Les équipages italiens et français parviennent au Japon le 30 avril. Ils restent bloqués dans le port jusqu’au 7 mai, parcourant les administrations et les différents bureaux de la ville, en quête d’une permission Impériale pour traverser le pays.

 

La Protos dans l'Idaho

La Thomas Flyer à Tonopah
(Nevada)

La Werner à Springfield
(Colorado)

 

La Thomas Flyer revient à Seattle le 17 avril. L'équipage américain croise sur le port Guilion Sirtori qui a reçu l'ordre de la compagnie Züst de reprendre la course et de rejoindre la voiture à Vladivostok. Le 20 avril, Maurice Drieghe et Max Hohmann arrivent à Seattle et décident de tenter la route de l'Alaska malgré les difficultés connues. Leur projet est d'embarquer pour Skagway, de rejoindre en train le Klondyke en passant par la White Pass, puis de rejoindre Dawson City où la voiture y sera remisée en vue de tenter durant l'hiver 1908-1909 de descendre le fleuve Yukon pris par les glaces jusqu'à son embouchure dans la mer de Béring. (Note de l'auteur : malgré de nombreuses recherches dans les journaux de l'époque, aucun ne parle de la réalisation de cette traversée durant l'hiver 1908-1909). George Schuter et ses compagnons repartent du port de l'état de Washington à bord du steamer Shawmut en direction du Japon le 21 avril.

Charles Godard est de retour à Paris où il rend une visite au journal l'Auto le 5 mai, afin d'y conter ses aventures que le journal recopie ainsi dans ses colonnes : "Routes américaines ?... Néant. Hospitalité américaine ?... Néant. Nourriture ?... Néant ! ! ! Neige, froid, vent, fondrières ?... Abondance. Et ce sont des histoires de tas de neige épais de six mètres, de ravins où les voitures s'enlisaient au point qu'il fallait, le lendemain, pour retrouver leurs... tombes sonder la neige avec de longs bâtons ! Je n'imaginais point que de pareilles choses fussent possibles et nul ne doit plus douter maintenant que Pékin-Paris n'ait été qu'un jeu d'enfants à côté du raid New-York-San-Francisco." Et Godard de conclure : "les Américains n'accordent leur estime qu'aux dollars".

Georges Schuster et ses compagnons font escale à Yokohama avant de débarquer à Kobé le 12 mai. De là ils s’élancent dès le lendemain en direction de Tsuruga. La traversée du Japon est rendue ardue par les routes pentues des montagnes guère plus larges par endroits qu'un chemin pédestre. La traversée de ponts en bambou qui tremblent dangereusement au passage des voitures fait craindre le pire à chaque instant. Les routes japonaises ne sont clairement pas faîtes pour les voitures, aussi beaucoup d'énergie est dépensé pour les élargir afin de pouvoir poursuivre le chemin. La faim tenaille les participants. La seule nourriture qu'ils parviennent à trouver est essentiellement constituée de riz présenté sous forme de colle brune non assaisonnée, accompagné de crevettes séchées au soleil et peu appétissantes au palais. Dans un village, fatigués de cette alimentation, les hommes de la Thomas Flyer demandent à des paysans qu'on leur cuisent un poulet. On leur attrape un coq famélique qu'une femme plume vivant. Et toujours vivant, elle commence à le découper en tranches fines qu'elle jette au fur et à mesure sur du charbon. La moitié du pauvre volatile est déjà prête à être mangé que l'autre vie toujours !

La Züst et la De Dion arrivent sur la côte ouest du Japon à Tsuruga. Ils embarquent sur le Longmoon en partance pour Vladivostok le 13 mai . Le même jour, La Protos, qui à bord du vapeur Glenlogan, a traversé directement de Seattle à Vladivostok, sans passer par le Japon débarque dans le port russe et attend l’arrivée des autres voitures pour continuer la course. Les équipages italiens et français sont les seconds à arriver à Vladivistok le 15 mai. Bourcier Saint-Chaffray reçoit alors un télégramme de la société de Puteaux daté du 9 mai lui demandant de quitter la course à Vladivostock, d'embarquer la voiture pour Pékin et de rentrer à Paris. La raison évoquée est que la route entre Vladivostok et Paris est semblable à celle empruntée par la course Pékin-Paris de 1907, lors de laquelle une De Dion Bouton 10 HP conduite par Georges Cormier termina troisième, et que cela ne présente pas d'intérêt pour la firme de renouveler l'expérience. Pour Georges Bourcier Saint-Chaffray le coup est rude. Notre homme, opiniâtre dans son désir de poursuivre l'aventure et de boucler le tour du monde, achète tout le stock de carburant disponible à Vladivostok et à Harbin. L'équipage allemand réussit in extremis à se procurer une petite quantité d'essence. La Thomas Flyer qui après une traversée à bord du Mongolia parvient en Russie le 18 mai ne peut plus en acquérir. Persuadé que la Thomas Flyer sera la première à arriver à Paris, le conducteur malheureux de la De Dion demande alors à George Schuster de le laisser partir avec eux en échange de l'essence. L'américain refuse tout net cette proposition, déclarant à Saint-Chaffray qui'il préfère encore finir sa vie à Vladivostock plutôt que de céder à ce chantage. La même proposition est faite aux Italiens qui quittent la pièce avec dégout. Le lieutenant Hans Koeppen déclare alors qu'il ne veut pas profiter de la situation et qu'il ne reprendra la course que lorsque la Thomas Flyer aura trouvé du carburant. George Schuster fait appel aux résidents américains de la ville. Ces derniers puisent dans leurs propres réserves d'essence et Schuster parvient ainsi à collecter suffisamment de combustible pour repartir. Finalement battu à son propre jeu, Bourcier donne son essence à l'équipe Italienne sans pour autant être autorisé à monter dans leur voiture.

Dans le port russe, Hans Koeppen, voit venir à lui Casper Neuberger et Robert Füchs, employés des usines Protos, dont le dernier en le mécanicien en chef. Les deux hommes ont été dépêchés par la firme berlinoise pour épauler le lieutenant dans la dernière partie du raid.

Le comité de la course composé de Jean Charcot (explorateur), François Deloncle (député de Conchichine), le Marquis Jules-Albert de Dion (industriel), Loïcq de Lobel (ingénieur), Charles Rabot (explorateur géographe), Albert Métin (politicien), se sont réuni le 6 mai au siège du journal Le Matin pour discuter du changement de parcours. Le comité juge que le parcours primitif comprenant les traversées de l'Alaska et du détroit de Behring a été profondément modifié. Il déclare que l'attribution d'une coupe pour la voiture ayant réalisé l'exploit de franchir les mers polaires n'a pas lieu d'être maintenue. Il décide en revanche que pour récompenser les efforts déployés par les concurrents de la course automobile New-York Paris il sera attribué un prix de 6.000 francs (21.700 euros actuels) aux premiers arrivés à Paris pour leur victoire dans ce qui s'appele désormais le Grand-Prix du Tour du Monde Automobile. 3000 francs (10.850 euros actuels) iront au second et 1.000 francs (3.615 euros actuel) seront versés à l'équipage de la troisième voiture à arriver.

Apprenant que Hans Koeppen a utilisé le train entre Ogden et Seattle, Georges Schuster câble alors un courrier au comité de la course basé à Paris pour demander la disqualification de l'équipe allemande. Le comité refuse cette demande et considère que la requête de l'équipage américain ne mérite pas un examen plus approfondi.

 

La Thomas Flyer sur le bateau
l'emmenant au Japon

La Thomas Flyer traversant
le Japon

La Züst au mont Fudji.

 

Le 21 mai, sous une pluie battante, la Protos et la Thomas Flyer quittent le port russe. La voiture allemande, partie première, est rapidement bloquée après n'avoir parcouru que quelques kilomètres. Victime des fortes pluies, alliées au dégel, la voiture s'est retrouvée enlisée jusqu'aux moyeux dans une boue collante. C'est l'équipe de Schuster qui, les rattrapant, aide les Allemands à extirper leur voiture de ce bourbier dans laquelle elle a pratiquement sombré. Hans Koeppen sort d'une malle une bouteille de champagne dont il fait sauter le bouchon. Le doux breuvage est bu à même le goulot, la bouteille passe de main en main et de bouche en bouche. Chacun trinque à cette amitié sportive. Mais la course reprend rapidement ses droits, et les deux voitures s'élancent vers Paris. Comme lors de la traversée des Etats-Unis, les concurrents utilisent les voies de chemin de fer lorsque cela est possible, mais les autorités russes y imposent rapidement des conditions. La Protos qui après avoir mis en retard un train postal et plusieurs trains de voyageurs est interdite d'utiliser le rail. La Thomas Flyer, elle, peut encore utiliser les voies ferrées, à condition d'avoir à son bord un fonctionnaire des chemins de fer. C'est au capitaine Zamaraeff de la garnison de Kharbine qu'échoit cette tâche. A vingt kilomètres de Progranitchnaya (Russie), la Thomas brise l'engrenage de sa direction sur les rails. Georges Schuster prend le train pour Kharbine (Russie) pour y trouver une pièce de rechange. Le voyage dure trois jours. Quand l'utilisation des chemins de fer n'est pas possible, ils roulent sur des routes boueuses que les pluies de printemps rendent encore plus impraticables. A cela s'ajoutent le danger des hordes de bandits et d'animaux sauvages des plaines de Sibérie et les nombreuses pannes mécanique. Le ravitaillement en essence est acheminé sur des traîneaux tractés par des chiens.

Le 6 juin, la Züst quitte enfin le port de Vladivostock. Le 8 juin, elle est à nouveau immobilisée à Progranitchnaya (Russie), dans l'attente d'un fonctionnaire des chemins de fer. Celui-ci n'arrive que le 10 juin. Finalement la voiture italienne ne reprend son parcours que le 13 juin.

 

La Thomas Flyer aidant la
Protos près de Vladisostock

La Thomas Flyer en Mandchourie

La Züst en Sibérie

Les hommes de la Thomas Flyer
et leur campement en Sibérie

 

La route mène les participants à travers les paysages immenses de la Mandchourie et de la Mongolie. La Protos, roule bon train et prend de l'avance. Elle arrive à Khaïlar (Russie) le 12 juin, tandis que la Thomas rentre dans Bukhatu (Mongolie) avec un retard de cinq jours sur Hans Koeppen. Le 14 juin au soir, la voiture allemande rallie Tchita (Russie). Hans Koeppen et ses compagnons remportent par là même les 1000 dollars (25.000 dollars actuels) que la Trans-Siberian Alaskan Railroad Compagny s'était engagée à offrir à la première voiture à rejoindre la ville. Dans des conditions climatiques très dures, les températures montent jusqu'à 45°c dans la journée pour tomber en dessous de 0°C durant la nuit, les hommes poursuivent inlassablement leur parcours.

En se rapprochant d'Imempo (Mandchourie), le 16 juin, l'un des réservoirs de la Züst prend feu. La voiture est très sérieusement endommagée, mais les courageux Italiens parviennent à la remettre en état de marche et reprennent la course. La Protos atteint le lac Baïkal le 20 juin au soir. Georges Schuster qui n'a pas ménagé ses efforts, éprouvant grandement le moteur de sa voiture, n'est plus qu'à quelques encablures des Allemands lorsqu'il parvient au lac. Tandis qu'il gare sa Thomas Flyer devant la capitainerie, il voit s'éloigner le ferry sur lequel est monté Koeppen. Il lui faut attendre vingt-quatre heures et la navette suivante pour pouvoir à son tour franchir le lac. A Irkoutsh, le support moteur de la Thomas se brise. Schuster trouve son salut dans les entrepôts de la compagnie des chemins de fer et utilise une plaque en acier d'une chaudière de locomotive pour remplacer la pièce cassée. Georges Schuster pousse sa voiture à travers les plaines de l'Oural et se rapproche avec obstination de la Protos. La voiture Allemande arrive poussivement à Moscou, pneumatiques et ressorts avant cassés. Heureusement, la firme Protos possède une succursale dans la ville russe et la voiture peut être rapidement remise en état de marche. Koeppen est à St Pétersbourg, sur les bords marécageux du delta de la Néva le 20 juillet. Passant dans la ville de Moscou à toute allure, Schuster arrive à St Pétersbourg, la Venise de la Baltique, avec trois jours de retard. Les Américains continuent à forcer l'allure et ne sont plus qu'à un jour des Allemands lorsqu'ils franchissent la frontière. Les Italiens qui poursuivent vaillamment sont à Tomsk (Russie) le 22 juillet.

Les routes s'améliorant au fur et à mesure que les concurrents s'enfoncent sur le continent européen, la Protos reprend un peu d'avance et sur les routes filantes de Pologne et d'Allemagne, la Thomas Flyer peine à la suivre. Le 24 juillet, informés de l'arrivée prochaine de Hans Koeppen, des membres de L'Automobile Club Impérial vont au-devant de la Protos et se rendent à Muncheberg. Ils vont accompagner le conducteur allemand sur les derniers cinquante kilomètres qui le séparent de Berlin.

Le jour où Hans Koeppen franchit en héros les portes de la capitale allemande, le comité de patronage se réunit une fois de plus à Paris. Lors de cette nouvelle réunion, il y est décidé que les arrivées des concurrents du tour du monde soient effectuées comme suit : La Protos partit de Berlin pour Hambourg, finira de facto sa course à Berlin. La Thomas partit de New-York doit pour avoir terminé son tour du monde être retournée à New-York. La Züst, quant à elle finira son tour du monde lorsqu'elle arrivera à Paris. De plus, le comité inflige à la voiture allemande une pénalité de quinze jours sur son temps pour avoir pris le train entre Ogden et Seattle sur la côte Pacifique, et quinze autres jours pour ne pas avoir traversé le Japon, ayant fait directement le voyage de Seattle à Vladivostock.

Malgré les décisions du comité, le Lieutenant Hans Koeppen poursuit sa route et arrive aux portes de Paris où il est accueilli nonchalamment par deux officiers de l'octroi qui lui demande son bon de sortie d'essence. (Note de l'auteur : lorsqu’une automobile se présentait à la barrière de l’octroi, le préposé jaugeait la quantité d’essence contenue dans le réservoir. La même opération se renouvelait à la sortie et le propriétaire de la voiture payait une taxe sur la quantité d’essence consommée pendant la traversée de la ville) . Il reprend son chemin le long des boulevards sans que son passage ne soulève la moindre curiosité. Il se range devant le siège du journal Le Matin dans une indifférence générale, le 26 juillet 1908 à 18h00 . Et comme le rapporte le journaliste Marcel Viollette dans la revue la Vie au Grand Air, les représentants du journal qui le reçoivent lui disent :" C'est bien gentil de vous être dérangés pour venir nous voir, mais vous auriez pu vous arrêter à Berlin, c'était fini pour vous. Bonsoir, Messieurs". Après avoir reçu tant d'accueils chaleureux, comme en Russie où à Saint-Pétersbourg, le tsar et la tsarine les convièrent à une audience privée, ce désintérêt pour ce dernier effort pèse lourd dans le coeur des hommes de la Protos. Ils reçoivent du Grand-duc Alexandre Michaïlowitch une coupe en or d'une valeur de 15.000 roubles (155.100 euros actuels) pour être la première voiture à être arrivée à Paris. Deux jours plus tard au Pavillon d'Armenonville, Mr Price, directeur de la Compagnie Dunlop, MM. Walker, Merry et Puy, dirigeants de la société, convient Hans Koeppen, Oscar Heymann, directeur général des Automobiles Protos et quelques journalistes autour d'un déjeuner afin de fêter l'arrivée de ces aventuriers qui firent le parcours de New-York à Paris au volant d'une voiture équipée de pneumatiques cannelés et antidérapants Dunlop.

Il est 8h00 ce 27 juillet lorsque la Thomas Flyer arrive à Berlin. Georges Schuster n'a pas de temps à perdre et trois heures plus tard, il repart. Le 30 juillet il parvient à Paris. Alors qu'il descend le boulevard des Capucines, un sergent de ville l'interpelle, fait ralentir la voiture et l'immobilise. Les lanternes du véhicule sont cassées et sans éclairage, la Thomas Flyer ne peut pas rouler. Georges Schuster tente alors de discuter et d'expliquer la situation mais rien n'y fait, le policier reste inflexible. Un cycliste propose alors le phare de son vélo, mais ne parvenant pas à le détacher, la bicyclette est hissée sur le siège avant et Schuster peut ainsi finir son périple. Il arrive devant les bureaux du "Matin", boulevard Poissonnière à 20h00. Mais personne n'est présent pour le recevoir, aussi doit-il repartir et revenir le lendemain après-midi où une cérémonie est organisée devant une foule de curieux et la fanfare de la garde Républicaine. La Thomas repart quelques jours plus tard et arrive le 17 août 1908 à Times Square, bouclant ainsi son tour du monde.

 

La Protos est la première à
arriver à Paris

La Thomas Flyer dans les rues
de Paris

Une foule tumultueuse entoure
la Thomas Flyer victorieuse

 

Les vaillants Italiens qui n'ont pas abdiqué, arrivent à Moscou, la troisième Rome, le 25 août. L'état de la voiture nécessite de nombreuses réparations avant de pouvoir s'élancer dans un ultime effort vers la capitale Française. Près de Saint-Pétersbourg, alors qu'ils traversent un petit village, remontant la rue principale, ils croisent la route d'un cheval attelé à une charrette qui effrayé par le bruit de la voiture s'emballe et renverse un enfant dans sa course folle. Le jeune garçon décède de ses blessures. Sans ménagement, les autorités jettent en prison Antonio Scarfoglio et ses compagnons. Innocentés, ils sont relâchés trois jours plus tard et repartent vers Berlin où un accueil chaleureux les y attend le 6 septembre. Le 16 septembre la voiture passe à Meaux en direction de Metz et Paris, but ultime de leur voyage. Le 17 septembre la Züst arrive boulevard Poissonnière. Leur arrivée est saluée par des hourras et de nombreuses bouteilles de champagne sont débouchées en leur honneur.

La Thomas Flyer est déclarée victorieuse du New-York Paris.

Le journal populaire allemand Berliner Zeitung am Mittag écrit dans les jours qui suivent, un article provocateur dans lequel il considère que la Protos est la gagnante du raid New-York Paris. L'éditorialiste juge que la course ayant été grandement modifiée, un nouveau départ a été donné à Vladivostok. L'équipe allemande avait de ce fait toute liberté pour rejoindre la Russie par les moyens qui lui convenaient le mieux et qu'il est arbitraire et antisportif d'infliger à la Protos les pénalités reçues lors de la première partie de la course.

Peu avant sa mort, lors d’une interview au journal italien Il Mattino en 1969, Antonio Scarfoglio résuma l’exploit réalisé par ces hommes : "Aller sur la lune est certainement une grande aventure technique et humaine … mais savez-vous quelque chose ... J’ai conduit une voiture autour du monde en 1908."

(Nota Bene : Les équivalences Roubles et Dollars de 1908 sont des estimations faîtes par rapport à la valeur de l'Euro de 2017)

 
© Thierry Cann - 2018 - Quimper - Septembre 2017 - Février 2018. Révision et ajout d'informations historiques en Mai 2022

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